Pépé.
Quand il nous parlait de sa jeunesse, « dans le temps », il passait toujours sa main droite sur sa main gauche, puis la gauche sur la droite, dans un mouvement lent, un mouvement de pendule, la droite, la gauche, dans un frottement sec de paumes durcies par les années de labeur, de labour, de mains dans la terre, de mains dans la boue, à glaner les betteraves, les pommes de terre, qu’il disait en roulant les « r », un accent flamand qui s’élève dans les airs, la droite, puis la gauche, retour sur terre, toujours la terre, celle qui lui a cassé les reins, crotté ses souliers, des souliers de cuir tanné eux aussi, pourtant cirés tous les dimanches, avant la messe, les mains frottées au savon de Marseille par-dessus l’évier de pierre blanche, ébréché de tant de vaisselles, le détergeant comme seul additif dans un quotidien sans fantaisie, les jours qui s’égrènent comme les perles noires d’un chapelet enroulé autour du crucifix dans l’entrée, au-dessus du paillasson, une paire de chaussons bruns, le droit, le gauche, bien alignés, - faut pas que ça dépasse – le devoir, le travail, avec comme récompense le paradis, ou bien peut-être juste la soupe aux poireaux, lavés de leur terre dans l’évier de pierre blanche, sous un jeu d’eau froide, qui gonfle les doigts déjà rougis par les orties arrachées dans l’hiver qui s’avance lentement, à droite, à gauche, l’horizon de la morne plaine se colorant à peine du soleil couchant.
Dans la chambre au papier peint fleuri, pépé s’allonge, à gauche. Mémé le rejoindra bientôt, à droite.
Demain, la terre tournera à l’envers.